“Les contacts évidents”
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Lorsque nous marchons, nous ne demandons pas si le carrelage va venir à la rencontre de notre pied.
Nous savons que le sol est là, c’est une évidence.
Nous n’y pensons même pas.
Cet état de fait, nous l’avons intégré lorsque nous étions tout petits, alors que notre cerveau n’était pas encore assez mature pour être dans l’abstraction.
Nous l’avons engrangé sous forme de mémoire sensorielle, corporelle.
C’est ce que le psychiatre Gianni Francesetti appelle les contacts évidents.
Les choses seraient simples si tout cela n’était qu’une histoire de mécanique, de pied et de sol.
Mais, lorsque nous avons appris à marcher (ou fait l’expérience de tout type de contact évident comme être porté, attraper des objets, être posé sur une chaise…), il y avait également un contexte.
Une ambiance relationnelle et émotionnelle.
Nos parents étaient-ils encourageants ? Anxieux ? Joyeux ? Déprimés ? Surprotecteurs ?
Cette atmosphère, à force de répétition, nous l’avons engrangée, elle aussi.
Comme composante parfois inconsciente de nos contacts évidents.
J’aimerais vous proposer deux pistes pour utiliser cette notion dans vos romans.
La première, c’est de songer à la texture, au tissage singulier des contacts évidents de votre héros/héroïne.
Comment va-t-elle à la rencontre du monde, des autres ?
De quelles croyances, de quelles certitudes est-il porteur ? (par exemple : je vais me faire mal si je prends des risques / on ne peut faire confiance à personne / le monde est dangereux, etc.).
De quelle façon les contacts évidents du personnage colorent-ils ses relations d’aujourd’hui, contribuent-ils à ses problèmes actuels ?
La seconde piste, c’est de songer au fait que nous pouvons facilement perdre nos contacts évidents.
Je me fais cette remarque chaque fois que je monte l’escalier de ma maison, le soir, lorsque la lumière n’est pas allumée.
Sur la première partie des marches, je grimpe sans hésitation.
Puis l’escalier bifurque, je me retrouve dans la pénombre et, d’un coup, je perds tous mes repères.
Je ralentis, j’ose à peine poser mon pied.
Il m’arrive de perdre la notion des distances, pourtant évidente quelques secondes plus tôt.
Je dois parfois tâtonner pour vérifier que la marche est là.
C’est une chose que nous pouvons exploiter dans nos romans.
Pousser nos héros/héroïnes dans leurs retranchements, les priver de leurs contacts évidents, de leurs automatismes.
Napper leur sol de brouillard.
Les plonger dans l’obscurité.
Et voir comment ils se débrouillent.
C’est l’une des fonctions d’un récit.
Nous racontons des instants où l’équilibre vacille.
Nous aidons nos lecteurs.trices à apprivoiser les moments de transition.